Choix du cuir
Nous allons travailler à partir d’un cuir de bœuf
obtenu par tannage végétal. Les deux grandes qualités de
cuir que l’on peut trouver sont le tannage végétal et le
tannage au chrome. Le dernier est meilleur marché, plus souple, parfaitement
étanche et parfois plus résistant que le cuir de tannage végétal
(suivant la qualité bien sûr). Toutefois, son étanchéité
ne permet pas la mise en forme que nous allons réaliser maintenant. Il
est à réserver à des pièces d’armures obtenues
par simple assemblage de « plaques » de cuir. Alors que le cuir
à tannage végétal peut être moulé jusqu’à
un niveau de détail permettant la fabrication de masques. Pour reconnaître
ce cuir : il a une odeur d’écorce d’arbre, il brûle
en dégageant une odeur de bouchon, et si vous posez votre pouce humecté
de salive sur la fleur (côté lisse), vous devriez y laisser une
nette empreinte sombre, preuve que le cuir « boit ».
Le cuir choisi était un colletin de bœuf de 3mm
d’épaisseur, tannage végétal donc, non teinté,
et non traité ou rectifié. Demandez conseil avant de vous décider,
renseignez-vous bien sur la nature du cuir et le traitement qu’il a subi.
Vous pouvez en effet avoir des cuirs meulés, des cuirs obtenus par tannage
mixte végétal/chrome dans des proportions très variables,
des cuirs recouverts de couches protectrices (silicone par exemple)… Cherchez
le cuir le plus grossier possible, peu importe qu’il ait des nervures
ou même des taches. Premièrement il sera teinté, donc les
taches seront masquées totalement ou en partie, deuxièmement,
les nervures donneront un aspect très naturel à vos pièces
d’armures qui les distingueront des pièces en cuir bas de gamme
ou même en synthétique.
Lorsque nous avons fait les grèves, nous avions deux
paires à produire ainsi que d’autres pièces, donc un colletin
entier a été nécessaire.
Pour information, à partir de cette pièce de
cuir de 1,5 m², nous avons pu réaliser deux paires de grèves,
deux paires de poignets de force de 12 cm de long, et une paire de spalières
(sangles comprises). Cette pièce a été achetée chez
un grossiste au prix de 30 EUR HT le m², soit environ 50 EUR TTC pour la
pièce entière.
Matériel nécessaire
(par paire de grèves)
- Cuir de bœuf en croûte (ne pas confondre avec de la croûte
de cuir) - tannage végétal
- Papier à patrons (grandes feuilles de papier fin à carreaux
de 1 cm de coté)
- Règle métallique de 1 m de long (profilé aluminium
= solution économique)
- Un mètre ruban
- Un crayon à papier gras (2B) et une gomme
- Un cutter et quelques lames neuves (cutter à lames larges, pas un
cutter de bureau)
- Un poinçon
- Une pince emporte pièce
- Des rivets à mater (8mm et 12mm)
- Un marteau
- 6 boucles de 30 mm et 6 passe sangles
- bandes de tissu et épingles à nourrice ou bandes de plastique
et ruban adhésif
Mode opératoire
Patron et découpe :
Commencez par reporter le patron ci-dessous sur du papier.
Légende :
A : tour de cheville (avec chaussure) - 5cm
B : hauteur de la pièce - 2xD
C : tour de mollet au plus large - 5cm
D : environ 2cm pour faire se chevaucher les pièces et les riveter entre
elles
Nous aurions pu decouper des pièces correspondants à
"greve+sangle" en une seule pièce de cuir comme ceci :
Découper les sangles à part nous a permis d'économiser
sur le cuir.
Afin de découper le cuir sans erreur, commencez par
repérer les points extrêmes ainsi que la position future des rivets
sur vos pièces à l’aide du poinçon. Posez le patron
papier sur le cuir, coté « fleur » du cuir puis perforez
le papier et marquez légèrement le cuir. Il est inutile de le
transpercer de part en part, ce n’est qu’un repère. Reliez
ensuite ces points à l’aide de la règle, toujours en traits
légers, afin de ne pas abîmer la fleur. Si vous vous trompez, vous
pourrez alors gommer et reprendre avant votre erreur de tracé.
Une fois vos pièces dessinées, repassez sur les
traits au crayon avec le cutter, mais toujours avec une très légère
pression. Lors de ce premier passage, nous cherchons simplement à entailler
la fleur du cuir exactement selon le tracé, non à découper
le cuir sur toute son épaisseur. Ensuite, une fois la fleur entaillée
précisément, repassez plusieurs fois le cutter dans la rainure
ainsi crée, d’abord à l’aide de la règle, puis
sans sur les derniers passages. C’est la seule manière de découper
précisément un cuir aussi épais avec un cutter. Si vous
tentiez une découpe en un seul passage, il y a fort à parier que
vous partiriez hors de votre tracé au crayon, au risque de gâcher
de la matière. Soyez donc méticuleux et patients…
Maintenant que vous avez les différentes pièces
qui constitueront vos grèves, perforez à l’emplacement des
rivets précédemment repérés à l’aide
de la pince emporte pièce. Attention : prenez un diamètre de perforation
correspondant au diamètre exact (ou légèrement inférieur)
de vos rivets à mater. Il en va de la solidité finale de la pièce.
Superposez les différentes « strates » de
cuir de la façon désirée, puis marquez les pièces
2 et 3 (Cf. patron) au poinçon à travers les trous précédemment
faits. Percez à ces emplacements.
Il ne vous reste plus qu’à assembler à
l’aide des rivets. Enfoncez les parties mâles des rivets côté
croûte (côté rugueux), posez la partie à assembler
en faisant correspondre les trous. Enfin, fermez les rivets à l’aide
des parties femelles que vous écraserez sur les parties mâles au
marteau.
Notes :
-
Les sangles et les boucles seront assemblées ultérieurement.
Il n’est pas souhaitable que ces parties qui doivent rester souples
soient durcies par le bain que va subir la pièce que nous venons
d’assembler.
-
Les rivets résisteront très bien au bain
durcisseur et la solidité des pièces assemblées ne
sera en rien compromise par ce dernier.
Bain durcisseur :
Le terme de « cuir bouilli » hérité
du Moyen Age constitue aujourd’hui un abus de langage. N’allez pas
croire que nous allons faire bouillir notre cuir pour en faire une armure. Ce
procédé le ferait brûler et le rendrait inutilisable…
Nous allons nous contenter d’un bain d’eau chaude.
Une eau à 40° (chaud sans être brûlant au toucher) fera
l’affaire.
Vous entendrez peut être parler d’additifs pour ce bain :
-
la cire d’abeille sensée conserver la souplesse
du cuir. La cire d’abeille pure est difficilement accessible d’une
part. D’autre part, elle pourrait étanchéifier le cuir
en partie, ce qui rendrait sa teinte plus compliquée par la suite
(même si les teintures en bouteille sont extrêmement pénétrantes).
-
la colle à tapisserie ou la colle d’os
de poisson pour le rendre plus dur. Souvenez-vous que ce qui est plus dur
est plus cassant. Il n’est pas souhaitable de trop perdre en souplesse
sur ces pièces qui, rappelons-le, sont assez longues et seront exposées
à de fortes contraintes et des chocs parfois violents. De plus, tout
comme la cire d’abeille, la teinte pourrait être compromise
par cet additif.
Dans l’optique de simple mise en forme que nous recherchons,
l’eau chaude sera amplement suffisante. Vous pourrez jouer sur la dureté
en variant plus ou moins sa température. A vos risques et périls.
Plus l’eau est chaude, plus le cuir sera dur. Si l’eau est trop
chaude, votre cuir une fois sec cassera comme du liège au moindre choc.
Plongez donc vos pièces dans l’eau chaude de votre
baignoire. Noyez le cuir : vous verrez s’échapper une multitude
de très fines bulles : preuves que vous avez bien choisi votre cuir.
Un bain de 10 à 15 minutes devrait amplement suffire.
Mise en forme :
Nous allons former les pièces directement sur le porteur.
Travailler à deux est plus aisé, mais l’opération
est réalisable seul.
Posez les pièces à même la peau et compressez
les sur les tibias et tout autour des mollets à l’aide des bandes
de tissu ou de plastique.
N’utilisez pas de bandes médicales. La grosseur
du tissage laisserait des empreintes inesthétiques dans le cuir. A défaut
d’avoir du tissu en quantités suffisantes, nous avons utilisé
des sacs poubelle. Le maintien en place des bandes est fait à l’aide
de ruban adhésif de bricolage. Sur du tissu, utilisez des épingles
à nourrice. Inutile de serrer très fort : c’est inutile
tant que le cuir épouse au mieux la forme du tibia et du mollet, et cela
laisserait encore des traces et des déformations disgracieuses après
séchage.
Allongez les jambes entre deux chaises et attendez 15 à
20 minutes que le cuir se mette en forme et que l’eau refroidisse un peu.
Le cuir ne séchera pas sur vous et l’eau ne refroidira jamais que
partiellement. Inutile donc d’attendre plus longtemps.
Otez les bandes et dégagez délicatement les pièces
de cuir de leur modèle. Tentez de conserver au mieux leur mise en forme
car à ce stade le cuir est encore très malléable.
Pour le reste du séchage, posez les demi grèves
sur une surface plane en appui sur leurs arrêtes, donc le devant face
à vous.
Laissez ainsi jusqu’à évaporation totale
de l’eau, au moins 24h. Le cuir devra être parfaitement sec pour
la suite des opérations.
Sangles et boucles :
Vous allez avoir besoin de deux types de bandes de cuir pour la bouclerie.
Taillez les dans les chutes de cuir restantes de la découpe des grèves.
La largeur de toutes ces bandes sera déterminée par la largeur
des boucles choisies, donc 30mm si vous avez suivi mes conseils.
Les premières seront les sangles à proprement
parler. Nous avons arrondi les angles à la fois par souci esthétique
et pour éviter une usure trop rapide de ces zones.
Leur longueur sera égale à deux fois l'espace
d'ouverture que vous avez décidé de laisser. Si cela est trop
long à certains endroits, vous pourrez toujours les retailler. Mieux
vaut être trop long que trop court. Pour chaque sangle, commencez par
faire un trou pour le rivet et fixez-la à 3 ou 4 cm du bord de la grève.
Cette photo montre une petite astuce pour poser un rivet à
mater sur une pièce courbe :
Moins de 3cm fragiliserait l'ensemble et l'exposerait à
la déchirure lors du serrage des sangles. Ne percez pas les trous pour
l'aiguille des boucles maintenant, posez d'abord ces dernières.
Les deuxièmes bandes de cuir, plus courtes, vont servir
à fixer les boucles et les passe sangles. Elles auront la même
forme que les sangles, avec les bords arrondis, mais ne feront que 5 à
6 cm de long :
Lorsque vous allez plier ces pièces autour de la boucle, trempez les
dans l'eau tiède et pliez les très doucement. Si vous ne prenez
pas ces précautions, vous risquez de casser net le cuir, même si
celui-ci n'a pas été durci. Vous pouvez aussi faire une rainure
sur la zone de pliage, côté croûte, à l'aide d'une
petite lime ronde. Cela facilite encore le pliage. Avant de poser le rivet,
n'oubliez pas non plus d'insérer le passe sangle derrière la boucle.
Les boucles seront-elles aussi fixées à 3 ou
4 cm du bord de la grève, comme les sangles. Mais avant de les fixer,
vérifiez que vos sangles sont assez longues pour atteindre les boucles.
Si ce n'était pas le cas, il vous faudrait fixer les boucles plus prêt
du bord, à vos risques et périls …
Maintenant seulement vous allez pouvoir percer les trous pour
les aiguilles des boucles. Mettez les grèves, passez les sangles dans
les boucles, tirez presque au maximum possible et faites la marque de l'aiguille
sur la sangle. Percez. Vous obtenez ainsi un système de fixation bien
ajusté. Pour les autres trous, faites-en deux après et un avant
le trou "exact" (du rivet vers le bout de la sangle), en espaçant
de 1 cm minimum. Encore une fois, des trous plus rapprochés pourraient
exposer vos sangles à la déchirure.
Note à propos de l'épaisseur des sangles : nous
avons utilisé le même cuir pour les sangles et les pièces
d'armure, premièrement par soucis d'économie, et deuxièmement
par soucis de solidité. Cela dit, des sangles de 3mm d'épaisseur,
c'est solide, mais aussi très difficile à fermer car relativement
rigide. Si vous disposez d'une ponceuse à bande, je vous conseille de
diminuer l'épaisseur du cuir des sangles jusqu'à la moitié
(1,5mm) maximum afin d'avoir des sangles plus souples. Si vous pouvez vous procurez
un produit à base de cire d'abeille comme le "glaco cuir" destiné
à conserver la souplesse du cuir et à le protéger contre
les craquelages, abusez-en sur toutes ces parties soumises à frictions,
tractions, torsions …
Finition
Elle se fera en deux étapes : teinture et protection,
à moins que vous ne décidiez de laisser le cuir dans sa couleur
naturelle, ceci incluant les taches et auréoles résultant du bain
durcisseur…
Pour la teinture, nous avons utilisé de la teinture
liquide achetée chez un grossiste en produit pour cordonniers et autres
artisans du cuir. (Catégorie page jaunes : négoce de cuirs et
crépins). Marque : GRISON. C'est une teinture sans aniline très
pénétrante qui s'applique au pinceau. A l'origine, elle sert de
sous-couche pour l'application d'une teinture de surface en aérosol,
mais elle se suffit largement à elle-même. Attention : si elle
est capable de teindre un cuir de bœuf en profondeur, elle en fera autant,
et bien plus facilement avec un cuir humain. Portez des gants si vous ne voulez
pas vous retrouver "tatoués" pendant quelques semaines. Les
pinceaux quant à eux se nettoient à l'eau chaude et au savon.
N'hésitez pas à passer deux ou trois couches pour obtenir une
couleur profonde et unie. Vous pourrez aussi noter que la teinture pénètre
différemment suivant les zones du cuir, en particulier sur les taches
et les zones encore légèrement humides s'il y en a. Ma teinture
noire rendait par endroits des reflets violets du plus bel effet. Si vous voulez
conserver ces reflets, ne passez qu'une seule couche et utilisez un vernis imperméabilisant
pour le cuir plutôt que du "glaco cuir" (voir paragraphe suivant).
Toutefois, je vous conseille plutôt de teindre profondément et
d'opter pour la teinture de surface en aérosol pour obtenir des effets
de couleurs.
Enfin, votre cuir reste malgré tous les traitements
que nous lui avons fait subir un cuir à tannage végétal,
ce qui ne lui confère pas des qualités d'étanchéité
remarquables. Il existe certainement des produits modernes très performants,
votre cordonnier sera certainement à même de vous conseiller sur
le sujet, mais par soucis d'économie, j'ai réutilisé le
"glaco cuir". Ce produit, composé à près de 30%
par de la cire d'abeille, il s'incruste bien dans les pores du cuir pour l'imperméabiliser
et le protégé. Etalez le sur la fleur avec un chiffon doux, en
frottant vigoureusement. N'hésitez pas à mettre 5 ou 6 couches,
jusqu'à ce que votre cuir n'en veuille plus. En effet, l'excédent
qui restera en surface protégera le cuir des petites éraflures
inévitables en GN. Ce produit a l'inconvénient de mâtifier
les couleurs, mais il reste économique et multi usage puisqu'il entretient
la souplesse du cuir en plus de l'étanchéifier. Toutefois, si
vous voulez vraiment protéger votre cuir correctement, allez dans un
magasin de camping / randonnée et achetez une boite de graisse à
chaussure incolore. Ca sent mauvais, c'est épais, mais c'est le produit
le plus efficace que je connaisse pour "nourrir" le cuir et le protéger
de l'eau et des agressions exterieures.
Voici les grêves finies :
Et ensuite ?
Entretien :
Entretenez vos grèves comme vous entretiendriez une
jolie paire de chaussures. Après chaque GN :
-
laissez-le sécher si elles sont humides
-
enlevez le gros de la boue ou de la poussière
séchée avec une brosse à chaussures
-
lustrez avec un chiffon propre
-
enfin, repassez une ou deux couches de cire et conservez
les dans un endroit ni trop sec ni trop humide
-
Ne SURTOUT PAS les faire sécher sur un radiateur
! Le cuir se déformerait et craquerait sous l'effet de la chaleur.
Améliorations possibles :
Ce sont là mes premières réalisations
en cuir. J'avais donc le minimum des outils nécessaires. Mais certains
auraient pu être très utile. Parmis eux, l'abat cares, outil de
sellier qui permet d'arrondir les bords des pièces de cuir. Abat carrer
les bords empêche qu'ils s'éliment trop vite et les rends les pièces
d'armure plus confortables. Ce dernier point est surtout vrai pour les pièces
portées à même la peau, aux poignets par exemple.
Le cuir offre aussi une multitude de possibilités de
décoration :
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